4,90€17 avril 2025
17h35

« L’industrie n’est pas une fin en soi. Elle se conçoit comme un pilier de la société. »

4 juillet 2023

Anaïs Voy-Gillis est une des nouvelles voix de l’industrie en France.
Docteure en géographie de l’Institut français de géopolitique, chercheuse associée à l’IAE de Poitiers et Directrice associée de June Partners, ses recherches portent sur l’industrie et les enjeux de la réindustrialisation de la France.
Elle est notamment l’auteure du livre « Vers la renaissance industrielle », coécrit avec Olivier Lluansi.

ForHum : Où en est l’industrie aujourd’hui en France ?

Pendant longtemps, on a écarté l’industrie de notre vision de société. Dans les années 1980-2000, on a pensé qu’on pouvait être un pays sans usines en se concentrant sur les tâches en amont et en aval de production. Ces choix ont créé de la perte de valeurs avec de nombreuses fermetures d’usines et ont eu de lourdes conséquences pour certains territoires industriels. Ça a entraîné une perte de contrôle économique et d’indépendance avec une augmentation des approvisionnements à l’international.

La pandémie et la guerre en Ukraine ont rappelé la situation de dépendance de la France avec les nombreuses ruptures d’approvisionnements que nous avons connues.

Aujourd’hui, alors que les volontés de réindustrialiser sont fortes, il faut se poser la question centrale pour moi : quelles industries souhaitons-nous en France au service de quel projet de société ?

 ForHum : Quels sont les grands défis pour l’industrie aujourd’hui ?

Le premier, c’est la modernisation des sites de production qui ont souffert de la désindustrialisation et donc sont pour beaucoup vieillissants. C’est un frein pour pour répondre aux évolutions de la demande.

Le deuxième, c’est l’environnement avec en priorité la décarbonation des sites de production, mais d’autres défis se posent comme la préservation de la biodiversité ou la réduction drastique des consommations en eau.

C’est directement lié à un troisième défi qui est celui de l’intégration de l’industrie dans la vie de la cité au sens large. Dans les paysages et dans la vie quotidienne.

L’industrie doit être plus ouverte. Enfin, le dernier défi est celui du numérique et de la Data. Un enjeu déjà pris en main par un grand nombre d’entreprises, notamment depuis le début de la pandémie. Ces défis, en particulier la décarbonation, vont nécessiter l’accès à une énergie bas carbone et à prix contrôlé.

ForHum : Comment l’industrie peut-elle révéler ces défis ?

Il faut qu’elle se réinvente. L’industrie est par nature diffuse et souvent invisible. Beaucoup de sites industriels sont loin des représentations que l’on a de l’industrie. Il faut faire connaître l’industrie en ouvrant les sites, proposer de nouveaux récits et de nouvelles figures. Le discours des grands acteurs est souvent centré sur des sujets spécifiques comme la baisse des charges. Il faut aller vers un discours plus positif qui donne envie de s’engager, sans nier la pénibilité de certains métiers. On est dans ce paradoxe que beaucoup de choses viennent de l’industrie mais, on a une faible acceptation des sites industriels. Je remarque cependant que dans les réflexions sur la réindustrialisation, cette question de l’acceptabilité n’est pas encore traitée.

ForHum : À quel niveau va se jouer cette réponse ?

Il faut que la France se dote d’un projet national. Une vraie vision industrielle de là où on veut aller. L’industrie n’est pas une fin en soi. Elle se conçoit comme un pilier d’un projet de société.

La question des industries qu’on souhaite développer et de celles qu’on veut rapatrier est fondamentale à la condition de définir aux préalables les ambitions que l’on souhaite servir. Il faut une vision de société et ensuite des politiques ciblées.

Aujourd’hui on a « France 2030 ». Cela donne des grands objectifs mais, quand on va en profondeur, on peine à voir comment on y arrive, comment on mesure les objectifs. Ça passe beaucoup par des appels à manifestation d’intérêt dont les PME peinent à se saisir.

Il y a un risque que les grands acteurs captent une grande partie des aides au détriment des PME & ETI innovantes. Il faut également que ces fonds puissent bénéficier à l’ensemble du territoire et éviter une concentration dans quelques métropoles.

ForHum : Comment les nouvelles entreprises industrielles, comme Hoffmann Green, participent-elles à ce renouveau de l’industrie ?

Justement, la nouvelle génération pense des projets pour répondre à des enjeux sociétaux. C’est le cas d’Hoffmann avec ses ciments décarbonés. Tout comme Ynsect, Lhyfe ou encore Néolithe. Ces jeunes entreprises utilisent l’approche industrielle pour adresser des enjeux environnementaux. Elles répondent à cet enjeu de repositionner l’industrie dans un projet de société, une vision.

ForHum : Comment peut se faire cette transformation vers une industrie désirable ?

Il faut que les industriels entretiennent un dialogue avec la société. Il faut faire de la pédagogie pour renforcer la culture de la matière. Il faut ouvrir les usines pour montrer l’industrie. Il faut montrer en quoi l’industrie participe à la vie de la cité pour que chacun se pose la question de ses achats : les particuliers comme les entreprises et les institutions.

Acheter français, ça veut dire soutenir l’emploi, soutenir le développement des territoires. Et ça veut dire participer à un projet de société partagé. On en revient à cet aspect fondamental. Pour avoir une industrie désirable, il faut qu’elle s’inscrive dans un projet de société.

Cette entrevue est issue des pages 42 et 43 de notre magazine ForHum, actuellement proposé en libre consultation sur notre site.